La colère, poison et carburant.

[CW: Mention de génocide, de meurtre, de transphobie.]

 "Généralement, quand les gens pleurent, ils pleurent à cause de leur condition. Mais quand ils se mettent en colère, ils amènent le changement. Quand ils se mettent en colère, ils ne s'intéressent plus à la logique, ils ne s'intéressent plus à s'ils ont de la chance; et au delà ils ne s'intéressent plus aux conséquences. Quand ils se mettent en colère, ils se rendent compte que leur condition, que leurs souffrances, sont injustes, immorales, illégales. Et tout ce qu'ils feront pour corriger ou éliminer ça, sera justifiable. Et quand vous et moi, on développe ce type de colère, et parlons de cette voix, et bien on gagne un certain respect et une certaine reconnaissance; et certains changements de la part de ces personnes qui nous ont fait de fausses promesses depuis bien trop longtemps."

Alors, pour la source de cette citation, je suis certaine que c'est Malcolm X. Par contre pour la source du discours, je ne parviens pas à trouver où et quand. J'suis même pas certaine que la traduction soit parfaite, mais écoutez, c'est pas mon taffe de traduire, j'suis même un peu nulle pour ça. Bisoux.



    J'ai très longtemps considéré la colère comme étant un poison. A savoir que mes colères sont généralement des colères froides et assez destructrices. Évidemment je pète pas des trucs ni des têtes, j'suis pas un cismec hein, mais on va dire que me mettre en colère voudra dire que si on se reparle c'est qu'il s'est passé beaucoup de choses entretemps. Je sais que c'est un de mes problèmes. Je sais pas juguler mes rancunes, ni suffisamment les raisonner. Mais l'âge (l'âge canonique de 31 berges, wow) m'a apporté un nouveau type de colère, qui lui est clairement pire pour moi. La colère diffuse, entremêlée de mélancolie.

    Et pour vous expliquer ce qu'il en est, je vais devoir vous parler un peu de moi, avec de petits bouts de quotidien actuel. Imaginez que je me réveille à un moment, généralement je sais pas quand je vais me réveiller ni me coucher. Je me casse à moitié la gueule dans du bordel, je me verse un café et j'essaie de voir un peu ce qu'il se passe dans le monde. Me disant que le faire toute seule dans mon froc est un peu triste, j'essaie de capter un stream qui en cause plus adroitement et avec moins de malaise que possible, le tout en continuant de feuilleter tout ce que je croise. Café dégueulasse bu, je fouine, et je vois encore les mêmes choses. Je vois les mêmes connards incapables de poser le terme génocide en Palestine en décrivant exactement ce qu'est un génocide. Je vois les pourris qui ont utilisé le nom de naissance de Brianna Ghey essayer de trouver des explications autre que la transphobie quand ses meurtrier·ière ont bel et bien dit, par SMS, que ça les faisaient kiffer de buter une meuf trans, avant de la tuer de 28 coups de couteau, que ça les faisaient kiffer de buter une meuf trans. Ça fait un an et ce chien de procureur refuse d'ajouter cette charge au dossier. C'est en cours de procès, et le résumé dudit procès est peu supportable de par la violence des faits énoncés; ainsi que de leur sinistre banalité. Parce que ce n'est qu'un fait divers parmi tant d'autres, qui a profité d'une exposition exceptionnelle de par la violence du meurtre, et aussi parce que Brianna Ghey était une gamine plutôt bien insérée socialement et qu'elle était blanche; mais c'est quelque chose de tristement commun (qui frappe d'autant plus les personnes trans racisées (j'espère ne pas vous l'avoir appris)). Et du coup, ça me fait penser à toutes ces personnes trans qui ne seront jamais nommées, généralement décrit comme "Homme/Femme trans qui a été tué, un mec soupçonné a été incarcéré". Et paf, fin de l'histoire. Rien de plus, rien de moins. Du froid. Glacial, immense, écrasant. Et de retour sur le génocide en Palestine. Une nouvelle sur la mécanisation/automatisation du massacre; des bafouilles misérables d'officiels sur le sujet; des déplacements; des attaques sur les zones où les déplacés·es fuient et je finis par saturer... Donc je passe sur autre chose, pour découvrir que le mal nommé Observatoire de la Petite Sirène a reçu un prix de l'académie des sciences morales et politiques, récompense qui vient avec une petite dotation pécuniaire pour les guignoles qui sont derrière. Notez que je donne un fait, mais ça pourrait tout aussi bien être n'importe quoi d'autre de ce style, j'en ai pleins des trucs comme ça dans ma besace à nouvelles sombres. Et bien que cela est la chose la moins dramatique que j'ai pu voir de la journée, c'est ce qui me fait craquer. Je me sais sur le point de pleurer, donc j'arrête. J'accepte de me ramollir le cerveau et de passer sur des choses moins déplaisantes.



    Je vous présente donc la colère diffuse, triste, qui sent la vieille clope et l'épuisement dès le réveil. D'aucuns diraient que c'est de la dépression, ce qui n'est pas faux, puisque la dépression m'accompagne depuis aussi longtemps que j'ai la capacité de me souvenir. Mais littéralement, ce carburant qui me permet de faire des choses, d'essayer d'agir à ma petite échelle, cette étincelle était bel et bien une colère. Une troisième, celle dont parlait Al-Hajj Malik al-Shabazz: La colère pour la justice, la colère pour le droit à une vie digne, la colère combative. Et je suis impatiente de la retrouver. Cette colère qui me permet, enfin, de riposter face à cette société qui a définitivement envie de laisser la tête sous l'eau de bien trop de monde. Cette colère qui permet de reprendre son souffle et de permettre de hurler tout ce qui ne nous va pas. La colère est bel est bien un cadeau, il suffit de pouvoir l'utiliser en moteur, et non plus se laisser écraser par le monde. Faire de cette colère notre Atlas, et jeter ce globe corrompu. Et de ces débris reconstruire du mieux.

 

 

 

 

 

Bon... j'ai toujours pas fini mon premier café de la journée, je devrais peut-être finir mon petit tour des infos du monde...

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