L’injonction à la perfection (troisième papier pour le Monde Libertaire)

     Coucou, ici Bicheyte. J’aime le fromage, la Monster, et à ce qu’il paraît quand on mélange les
deux c’est un Welsh Transféminin, qui serait ce que je suis si j’étais un plat. Néanmoins, je ne viens pas
ici pour insulter la gastronomie Alsacienne, plutôt pour vous parler de quelque chose de sérieux
concernant toutes les minorités. L’idée m’est venue durant une courte phase médiatique faisant suite à un coup de gueule de Muriel Robin. Lors d’une émission de deuxième partie de soirée qui serait pas mal regardée (Quelle Epoque, plus précisément). Ce coup de gueule consistait à expliquer comment sa
carrière d’actrice avait totalement été anihilée de par son homosexualité assumée, le tout avec le reste du plateau soufflant, essayant de la contredire sur tout. Et dans ce contexte tendu, elle a pu déclarer (je
paraphrase et simplifie un peu, au vue du contexte d’énonciation) « Citez-moi une actrice ou un acteur
ayant fait son coming-out tout en gardant sa carrière. Il n’y en a pas. [...] Dans ce métier, si vous ne
pouvez pas être pénétrée, vous ne valez rien. ». Le tout dans un discours offensif, mettant les coupables
face à leurs responsabilités. Malgré mon manque d’affection pour l’humoriste, je ne pouvais qu’être
enjouée qu’un discours de ce type soit émis à la télé... Oui, je ne pouvais qu’être enjouée sauf pour UN
mot qui me dérangeait. Et littéralement, je me suis mise à l’affût d’une quasi septuagénaire, qui s’est faite faite pourrir sa carrière à cause de son homosexualité assumée. Un simple mot m’a faite douter et réfléchir sur l’évidence énoncée.


    Malgré moi, je me suis littéralement posée la question de s’il n’y avait pas la moindre lesbienne
qui a pu faire une carrière au cinoche en étant ouvertement elle-même. Et c’est ainsi que je sors à mon
mec « Non mais... Elliot Page, il a fait un Coming-Out lesbien, avant son Coming-Out transmasc. » Suite à quoi mon mec laissa tomber un pavé, qui se trouve être l’autobiographie du type . Alors, je vais pas vous en parler en détail, puisque je ne pourrais pas lire tout ce bouquin¹ avant la publication de cet article, mais il y parle de ses traumatismes et des violences qu’il a vécu en tant que lesbienne et mec trans dans le placard ; de ce que peuvent faire les hommes cisgenres quand on leur laisse l’impunité et le pouvoir pour. D’ailleurs si vous voulez tout savoir, Eliott Page a fait son Coming-Out lesbien en 2014 et n’a pas reçu de rôle dans d’énormes productions depuis, même s’il a pu être la tête d’affiche de productions plus modestes. Puis, faisant son Coming-Out transmasculin non-binaire² en 2020, il garde son rôle dans la série Umbrella Academy (son personnage transitionnant pour qu’il garde ce rôle), mais n’en a pas eu d’autres depuis. En bref, j’ai bien fait de fermer ma gueule et de douter de mes doutes (c’est le secret pour dire moins de conneries et pour avoir une peau de pêche).

 


 Et venez pas me dire que le monde n'a pas besoin de plus voir Eliott Page. Je suis certaine que cette scène de dance surréalisto-flinguée en groupe dans Umbrella Academy, dans un décors qui fait très "J'imite mal le 19ème siècle", vient uniquement de ses bonnes vibes (et peut-être d'une réunion d'écriture de scripts qui est allée un poil trop loin).

 


-L’injonction à la perfection disais-je.

    J’imagine que vous n’aurez aucun mal à imaginer ce que c’est, mais pour faire simple, c’est
l’application du perfectionnisme sur une personne extérieur. C’est à dire, littéralement, à demander à
autrui la perfection. Et bien figurez vous que plus on est dans une communauté discriminée, plus la
perfection nous sera réclamée. Que cela vienne de l’extra-communautaire, ou de l’intracommunautaire. Et ces injonctions viennent très clairement voiler notre pensée dès qu’il s’agit de minorités (que ces
minorités soient ethniques, de genre, d’orientation, de personnes handicapées, etc). Combien de femmes as t-on dénoncées comme étant hystériques, alors qu’elles ne faisaient que dévoiler le patriarcat dans son plus simple apparat ? Combien d’arabes as t-on accusés·es de barbarie alors qu’iels se contentaient de sauvegarder un tant soit peu leur culture sur les terre de sociétés colonisatrices ? Qui a le droit d’être handi·e-psy, visible et considéré·e comme humain·e à part entière ? Combien d’homosexuels·les et de personnes transgenres ont été accusés·es de corrompre la jeunesse simplement en apparaissant tels·les qu’iels sont ? Combien de noirs·e sont décrits tels des monstres après avoir demandé l’équité ? En bref, qui, mis à part ce fameux modèle a le droit réellement à l’imperfection ?
Et attention, je ne parle pas seulement d’erreurs, mais bel et bien d’imperfections. C’est à dire, des
inconvenances rapport au publique. Un mot de travers, un maquillage trop outrancier, un truc
factuellement faux dit de bonne foi ; alors que le problème ne vient pas de ce qui est fait mais de la
personne. Et pour que cette personne prouve sa valeur, elle ne devra pas seulement se montrer excellente dans son domaine, mais elle devra être irréprochable ; et ce selon les critères arbitraires de tout à chacun, tout en reprenant inconsciemment (ou consciemment si vous êtes de sinistres personnes) les clichés discriminant insufflés par la société. C’est à dire que l’on devra constamment se justifier d’être hors de ces clichés, puis après ça de faire bien mieux que ce qui sera demandé au quelconque homme cisgenre blanc valide et hétéro médiocre.


    Et croyez-moi bien qu’il en coûte à mon passé, ainsi qu’à mon présent, de vous parler en ces
termes, puisque je sais que quand on me pensait tel un mec hétéro et cisgenre (médiocre) on me
pardonnait beaucoup d’approximations voire même d’erreurs factuelles grossières. Quand il est devenu
évident que j’étais tout sauf hétérosexuel, j’ai commencé à devoir faire constamment preuve de sérieux pour être pris au sérieux. Alors qu’à partir du moment où l’on a commencé à me percevoir comme une femme transgenre bisexuelle, j’ai pu vivre des harcèlements colossaux tout simplement pour avoir, par exemple, dénoncé des mécaniques de harcèlements intracommunautaires, ou juste pour avoir été aperçue par des fascistes. Et je sais que ce que je produis actuellement est loin d’être sans failles (voire très clairement en deçà de ce que je souhaiterais m’imposer mais il faut bien que je publie les textes que je produis), donc qu’il est évident que je vais finir par me faire attaquer sur une quelconque faille (plus souvent présumée que réelle, mon expérience l’avoue). C’est aussi ça d’apprendre à être une femme transgenre blanche d’un pays colonisateur ; avoir tiré quasi tout les bons jets sur la création du bébé pour qu’il réussisse dans ce sinistre jeu de rôle qu’est notre société, et en jeter un très grosse partie par terre pour ne pas vivre dans une insupportable mascarade.


-Des chiffres ? Quelqu’un, s’il vous plaît ?
 

    C’est le moment où vous pourriez me demander du factuel, du concret à propos de cette notion
d’impératif à la perfection, et bien... je suis au regret de vous annoncer que c’est quelque chose de
compliqué et très personnel à retracer. C’est à dire que c’est bel et bien quelque chose qui est dans le
continuum des discriminations. Mais le terme discrimination parle tout autant d’assassinats brutaux, que de déclassement social, en passant par de l’injure et tout un tas d’autres choses plutôt nuisibles pour une vie sereine, il se trouve donc que ce n’est pas quelque chose de directement très étudié. Plus précisément, c’est quelque chose de mesurable, mais je n’ai pas trouvé de chiffres qui pourraient très directement appuyer ce que je vous raconte, sur l’exigence à la perfection. Néanmoins, là où il y’a d’autres formes de discriminations, vous trouverez cette pression à la perfection.


[Note de l’autrice : Cette conclusion s’adresse plus aux hommes cisgenres blancs qu’aux autres.
Non pas parce que c’est des benêts, mais plus parce qu’il est nettement moins probable qu’ils aient vécu
tout ça.] Si vous voulez aussi comprendre cette idée, surtout si vous ne l’avez pas vous-même vécue, alors vous n’avez qu’à poser la question à vos sœurs, mères, amies. Puisque s’il y a bien un champ politique qui a étudié des phénomènes sociaux proches d’expérience, c’est le féminisme ; et j’ai bon espoir qu’il y aie quelques femmes dans votre entourage. Pour être sincère les champs antiracistes ont aussi beaucoup étudiés ces phénomène, puisque ce même type d’injonctions vient reconfigurer ces vies ; néanmoins, vue que je suis blanche, je ne souhaite pas parler au nom de personnes qui le diront bien mieux que moi. Vraiment, demandez à vos daronnes et si vous lui parlez plus ; demandez à vos amies. Cela sera le plus simple, pour avoir un petit bout de vécu et de réalité. Et bon, même si ça remplacera pas les tableaux statistiques que mon petit cerveau autiste aimerait pouvoir disséquer, au moins ça fera un petit morceau de discussion politique très concrète, ce qui ne fait jamais de mal à personne.



 ¹ = Pageboy, autoportrait d’un artiste. Sorti le 6 Juin 2023.
 ² Transmasculin non-binaire = Quelqu’un se référant principalement au genre masculin mais ne se reconnaissant pas entièrement dans sa définition (le
transmasculin étant ici pour signifier tout sauf une femme, genre auquel Elliot a été assigné à la naissance.)

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